« Noro Masamichi senseï racontait qu’à son retour au Japon après une longue absence, il découvrit son maître souriant pendant les techniques d’Aïkido. Il en fut très étonné et cela provoqua en lui une intense réflexion. Auparavant, il ne fallait pas sourire, être sérieux, attentif à chaque détail et manifester une résolution martiale sans faille. Il racontait qu’un jour il avait pris un grand plaisir dans un mouvement et un immense sourire lui barrait le visage. Son partenaire, je crois me rappeler qu’il s’agissait d’Arikawa Sadateru senseï, lui administra une formidable baffe et lui intima de ne pas sourire. Arikawa senseï avait des avant-bras comme des poteaux et il était souvent glissant de sueur, ce qui rendait la saisie impossible. Noro Masamichi avait bien du mal à lui faire Shiho Nage. Il devait voler plus souvent qu’à son tour aux mains d’Arikawa senseï. Un jour, à force d’entraînement, il parvint à faire usage du ki1 dans sa pratique. Avec curiosité, il invita Arikawa senseï à pratiquer et, usant de ki, il réussit à saisir son aîné et le fit voler par-dessus tête en un geste ample et magnifique. Surpris et un peu sonné, Arikawa senseï se releva et lui fit un immense sourire. Avec malice et jubilation, Noro Masamichi lui dit sobrement : «Pas sourire !».

Il est simplement dommage que les extrêmes ne sachent pas dialoguer. Si les extrêmes se révèlent incapables de dialoguer, alors les arts martiaux sont inutiles, la résolution du conflit demeure hors d’atteinte. Si nous acceptions de renoncer à évoluer, l’harmonie des contraires ne serait plus qu’une légende pour doux rêveurs. Lorsque Noro Masamichi senseï a décidé de ré-équilibrer son art en enrichissant le yang d’un apport de yin, le yang est parti et le yin a triomphé. Noro senseï n’a jamais souhaité le départ de ses élèves. » Le voyage d’un maître, entre Ciel et Terre, p59-60